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Marseille: 84 ans après L’ATTENTAT contre le roi de YOUGOSLAVIE et un ministre français

Dans son appartement à Marseille, Étienne Ronserail, journaliste, préparait un texte pour le Paris-Soir sur la visite du roi Alexandre Ier de Yougoslavie. La visite officielle était prévue pour début-octobre 1934 et le roi est arrivé à Marseille le 9 octobre.

Il allait intituler son article « La fête magnifique de l’amitié franco-serbe ». Or, avant d’appeler la rédaction à Paris, il a entendu des coups de balles dans la rue principale qu’il observait depuis sa fenêtre.

Dans la fumée, on ne pouvait pas distinguer la voiture du roi Alexandre Ier et le ministre des Affaires étrangères de France, M. Louis Barthou. L’attentat qui venait de se produire a effrayé les Marseillais. Par conséquent, M. Ronserail a décidé de changer le titre de son article. Il a eu la chance d’avoir un téléphone près de la fenêtre, ce qui lui a permis de tout raconter en temps réel à ses collègues à Paris.

Quelques heures plus tard, le 9 octobre 1934, un hors-série a paru à Paris avant que le gouvernement français ait informé le public des évènements dramatiques qui avaient eu lieu à Marseille!

En mars 2017, je suis parti vers le sud de la France afin detrouver le monument consacré au roi Alexandre Ier et M. Barthou. En tant que guide touristique, j’ai souvent l’occasion d’emmener des touristes francophones à Topola, siège de la famille royale Karađorđević en Serbie. L’attentat de Marseille est un thème indispensable lors de ces excursions.

À mon arrivée dans cette ville magnifique, j’ai eu rendez-vous dans l’Office de tourisme, et en tant que journaliste j’ai reçu quelques renseignements.

Dans le Musée d’histoire, j’ai remarqué des masques funéraires de ces deux hommes politiques, mais je n’ai appris que très peu d’informations sur l’évènement. J’ai demandé où je pouvais me renseigner davantage et les conservatrices m’ont gentiment suggéré de visiter les archives. J’y ai passé un après-midi en lisant des livres français sur l’attentat.

J’ai visité le monument dans le centre-ville, empreint de symboles de France et de Yougoslavie. Sur un côté, on voit une Française, sur l’autre, une Yougoslave.

Le monument contient des messages de paix, des portraits des deux hommes politiques, ainsi que des inscriptions suivantes : BelgradeZagrebLjubljana.

On y trouve également des propos d’un berger, une scène pastorale, l’image de St Jean, une fileuse, une famille, Morihov, le monastère de Nagoričani symbolisant la Yougoslavie, les emblèmes de la musique, du sport, de la science, de la famille, de la moisson, d’un ouvrier, de la devise liberté, égalité, fraternité symbolisant la France.

J’ai pris quelques photos et j’ai continué jusqu’à l’endroit où l’attentat a eu lieu. Il y a une plaque commémorative qui rappelle l’évènement malheureux que j’ai étudié dans les archives.

J’ai lu encore des textes sur les journalistes qui étaient au travail ce jour-là. Après le journaliste évoqué, j’ai découvert le témoignage du jeune photographe Honoré Geoffroy.

Sur le quai des Belges, mêlé aux officiels et aux militaires, Honoré Geoffroy arme son Gaumon 9/12 pour faire la première photo du roi au moment où il met le pied sur la terre de France.

Il a 22 ans et n’est que depuis quelques mois reporter photographe au Radical. Ce matin, son chef de service lui a dit: « Tu couvriras le débarquement jusqu’à la rue Saint-Ferréol, Raphael et Joseph assureront la suite de la cérémonie ».

Pour être sur de ne rien manquer, Honore est arrivé sur le quai des Belges plus d’une demi-heure avant l’heure prévue. En attendant, il va d’un groupe à l’autre, laissant « trainer les oreilles » pour essayer de glaner une information. 

Il parle avec un inspecteur du service d’ordre, lorsque soudain un policier arrive tout essoufflé. Dans son excitation il oublie la présence du journaliste et dit a son collègue.

« On les a cherchés partout, on ne les a pas trouvés. Nous sommes bons pour un attentat ».

Les responsables du service d’ordre sont bien moins émus. Avec 1500 gardiens de la paix, plusieurs compagnies de gendarmes à pied et à cheval, 200 inspecteurs en civil, ils ont le sentiment que rien ne pourra être tenté contre le roi.

Les officiels marseillais qui, derrière leur maire, le docteur Ribot, sont venus saluer le roi sur le quai des Belges, s’inquiètent de toutes les rumeurs d’attentat qui circulent dans la ville.

« Que pouvons-nous faire? » dit le docteur Ribot à ses adjoints.

« Nous avons signalé aux autorités responsables les dangers que courait le roi. Il ne nous reste qu’à espérer que nos craintes étaient sans fondement. »

Le maire et le conseil municipal ont donc été invités – on ne pouvait pas faire autrement – ils seront à l’arrivée du roi, mais ils ne participeront pas au cortège. Ils le rejoindront par leurs propres moyens au monument aux morts d’Orient sur la Corniche, ou Alexandre doit déposer une gerbe.

Le bateau a rejoint le port et le Roi s’est précipité vers M. Barthou, qui lui a serré la main.

« Je suis heureux de me trouver en France, dit le roi qui pose un regard amusé sur les binocles cerclés d’or du ministre français, exactement les mêmes que les siens. »

La foule applaudit, crie son enthousiasme, on agite des drapeaux.

« Vive la Yougoslavie! Vive Alexandre! »

Le roi sourit, il s’approche du coupé noir dans lequel il va prendre place à coté de M. Barthou et de son vieil ami le général Georges.

Devant la grosse Delage, il hésite un instant, puis se penche vers son ministre des Affaires étrangères M. Jevtić, à qui il glisse à l’oreille:

« Cette voiture est trop ouverte. Elle laisse la partie belle à ceux qui voudraient me tuer. »

De son coté, le ministre trouve le service d’ordre trop dispersé. Mais que faire? Il faut aller de l’avant, malgré toutes les appréhensions. Alexandre n’est d’ailleurs pas homme à reculer. Et quand il vient s’asseoir sur le siège arrière à droite du véhicule, le sourire est revenu sur ses lèvres.

Photographe Geoffroy est à ce moment-là tout près de lui, il a pris quelques photos où le roi montait dans la voiture.

Essayant de capter tous les détails de la cérémonie, le photographe légèrement nerveux n’a pas réussi à oublier les mots du policier. Il réfléchissait de ce qu’il allait faire si le roi était assassiné près de lui. Peut-être, aurait-il l’opportunité de faire des photographies sensationnelles qui marqueraient sa carrière.

Le cortège s’est arrêté un instant pour se regrouper devant le célèbre restaurant « Basso » dont le chef est connu dans la France entière comme « le roi de la bouillabaisse ».

C’est la voiture du contrôleur général Sisteron, elle est suivie par un peloton de dix-huit gardes à cheval, en grande tenue avec le ceinturon blanc. Puis vient la voiture royale.

Le Roi est à droite, Barthou à ses cotés, le général Georges a pris place devant eux sur un strapontin.

Le chauffeur, M. Paul Foissac, revêtu d’une blouse grise, à coté de lui comme accompagnateur un employé de préfecture. Derrière la Delage du roi vient la voiture du ministre Jevtić et de M. Pietri.

Le jeune photographe pense comme la plupart de ses confrères que l’attentat est inévitable et il ne quitte pas le roi des yeux. Est-ce cette idée qui lui donne le sentiment qu’Alexandre a peur? Il est crispé, ses mains tremblent, son sourire parait figé, il scrute les fenêtres avec une sorte de crainte dans le regard.

« Cet homme est au supplice », ce dit Honore Geoffroy qui se poste alors à l’avant du véhicule royal pour préparer sa prochaine photo.

De la fenêtre de son appartement, place de la Bourse, le journaliste Etienne Ronserail voit arriver le cortège. Il assure la couverture pour Paris-Soir en compagnie d’un envoyé spécial parisien, René Barotte, et il a imaginé pour donner à son journal une information rapide de bloquer la ligne du téléphone et de passer son reportage « en direct », puisque l’essentiel de la cérémonie se déroule sous ses fenêtres.

Il est 16h15. Un homme brusquement s’est détache de la foule et crie « Vive le Roi » en courant vers la voiture royale.

« Maudit photographe », pense le lieutenant-colonel Piollet en faisant virevolter son cheval, un peu trop en avant.

L’homme bondit sur le marchepied de la Delage, s’agrippe d’une main a la portière et, sortant un révolver de sa poche, ouvre le feu sur le roi et les autres occupants de la voiture.

Alexandre n’a pas le temps de faire un geste de défense. Il s’affaisse ensanglanté sur les coussins du coupé noir. Le général Georges bondit pour essayer de désarmer l’assassin. Celui-ci le regarde froidement et, tournant son arme contre lui, le vise droit au cœur.

Le chauffeur Foissac continue a rouler, il tient le volant d’une main et de l’autre cherche à agripper l’assassin, mais il n’y parvient pas. Il demande à son compagnon Barthelemy de s’occuper de la conduite de la voiture.

L’assasin Veličko Kerin a reçu des coups, son visage était couvert de sang, ses vêtements déchirés. Cependant, il reste sur le marchepied.

Devant la scène qui se déroule a quatre mètres de lui, il n’a ni le temps ni l’idée de régler son objectif. Il appuie sur le déclic. La photo sera floue, mais la presse du monde entier se disputera ce document exceptionnel.

Une femme âgée, échevelée, hurle comme une folle:

« Ils l’ont tué. Je l’ai vu, je l’ai vu, il est mort. »

L’un des complices, Mijo Kralj, se trouvait devant le petit restaurant près de la Chambre de Commerce. Il hésitait.

Va-t-il jeter les grenades pour permettre à Kerin de se dégager? Le cœur battant, les lèvres sèches, il voit le cavalier frapper son compagnon à coups de sabre, il voit le sang couler sur le visage de Kerin, son ami qui a tué le roi.

« Ils l’ont tué », pense Kralj qui dès lors n’aura plus qu’une idée. Fuir!

Il se dirigeait lentement vers la Rue Canebière, les pieds fatigués. Il est arrivé à la gare des Cars d’Aix, il s’est installé sur le siège arrière, entouré de gens qui parlaient des évènements choquants de Marseille.

Texte et photographies: Nenad Blagojević www.bienvenueenserbie.rs (diffusion autorisée à condition de partager le lien vers le site www.bienvenueenserbie.rs)Traduit du serbe par Jovana Milovanović;

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